Return to site

Vers la fin de la CFAO au cabinet dentaire?

nouvelle réglementation européenne sur les dispositifs médicaux

· Industrie dentaire - Dental industrie

Le nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux (Règlement EU 2017/745) est paru au journal officiel de l’Union le 5 avril dernier, son entrée en vigueur a été fixée au 26 mai 2017 et la mise en application (obligatoire) trois ans plus tard, soit en mai 2020. Pour rappel, contrairement à une directive comme la 93/42 qui doit être déclinée dans les différents droits nationaux, un règlement s’applique immédiatement dans le droit des 28 états membres. Il est d’ailleurs rédigé dans toutes les langues de l'Union ; on peut le trouver facilement sur le site du J.O.U.E.

L’industrie dentaire est particulièrement impactée par ce nouveau règlement. Historiquement, le dentaire a toujours été traité avec moins d'exigence que les autres Dispositifs Médicaux. Cela reste vrai. Ainsi, la règle 5 (chapitre III de l’annexe VIII) confirme les dispositions particulières de classe des dispositifs invasifs utilisés en bouche. En voici le texte :

« Tous les dispositifs invasifs en rapport avec les orifices du corps, autres que les dispositifs invasifs de type chirurgical, qui ne sont pas destinés à être raccordés à un dispositif actif ou qui sont destinés à être raccordés à un dispositif actif de classe I :

  • relèvent de la classe I s'ils sont destinés à un usage temporaire, 
  • relèvent de la classe IIa s'ils sont destinés à un usage à court terme, sauf s'ils sont utilisés dans la cavité buccale jusqu'au pharynx, dans le conduit auditif externe jusqu'au tympan ou dans la cavité nasale, auxquels cas ils relèvent de la classe I, et 
  • relèvent de la classe IIb s'ils sont destinés à un usage à long terme, sauf s'ils sont utilisés dans la cavité buccale jusqu'au pharynx, dans le conduit auditif externe jusqu'au tympan ou dans la cavité nasale et ne sont pas susceptibles d'être absorbés par la muqueuse, auxquels cas ils relèvent de la classe IIa.

Les dispositifs dentaires pour l’obturation d’une dent sont donc généralement de la classe IIa, les implants dentaires sont de classe IIb.

Quand apparaît une idée nouvelle, les Américains la transforment en business, les Chinois la copient et les Européens la réglementent.

Emma Marcegaglia, l'ancienne patronne des patrons italiens

Cependant, un certain nombre de dispositions du règlement vont impacter l’industrie dentaire; il s’agit de celles sur les dispositifs médicaux sur mesure.

L’article 2 du chapitre I établit les différentes définitions du règlement. Dans son alinéa 3, on trouve la nouvelle définition du dispositif sur mesure :

  • «dispositif sur mesure», tout dispositif fabriqué expressément suivant la prescription écrite de toute personne habilitée par la législation nationale en vertu de ses qualifications professionnelles, indiquant, sous sa responsabilité, les caractéristiques de conception spécifiques, et destiné à n'être utilisé que pour un patient déterminé et exclusivement en réponse aux besoins et à l'état de santé de ce patient.
  • En revanche, ne sont pas considérés comme des dispositifs sur mesure les dispositifs fabriqués en série qui nécessitent une adaptation pour répondre aux exigences particulières de tout utilisateur professionnel, ni les dispositifs qui sont produits en série par des procédés de fabrication industriels suivant les prescriptions écrites de toute personne habilité.

Ce second paragraphe manque cruellement de précision et créé une situation délétère pour la profession. En effet, il n’y a pas de définition de ce qu’est une série ou de ce qu’est un procédé industriel. Pour certains spécialistes de la réglementation, l’utilisation d’un procédé de fabrication par FAO additive ou soustractive entre dans le champ de cette définition. Ainsi, selon ces personnes, les solutions de type Cerec© ou imprimante 3D feraient des prothèses produites par ces appareils des Dispositifs Médicaux avec toutes les exigences afférentes. Ceci impacte les praticiens et, plus encore, les laboratoires de prothèse. En effet, la montagne d'obligations liée au marquage CE médical des produits de santé est infranchissable par l'écrasante majorité des laboratoires de prothèse européens

broken image

Une disposition du texte qui renforce encore davantage le sentiment que la CFAO au cabinet est menacée : l’article 5.5 du chapitre II. Cet alinéa établit les règles pour la fabrication de Dispositifs Médicaux par les établissements de santé (les cabinets dentaires y compris). Si, le texte prévoit que des dispositifs sur mesure puissent être fabriqués par les établissements de santé, il y adjoint cependant des restrictions et de nouvelles obligations. Les obligations des cabinets qui fabriquent leurs prothèses au cabinet seront donc désormais les suivantes :

  • L'établissement de santé fournit, sur demande, à son autorité compétente des informations concernant l'utilisation de ces dispositifs, qui comportent une justification de leur fabrication, de leur modification et de leur utilisation.
  • L'établissement de santé établit une déclaration, qu'il rend publique, comprenant :
  1. Le nom et l'adresse de l'établissement de santé de fabrication
  2. Les détails nécessaires pour identifier les dispositifs
  3. Une déclaration indiquant que les dispositifs satisfont aux exigences générales en matière de sécurité et de performances énoncées à l'annexe I et, le cas échéant, des informations sur celles auxquelles il n'est pas entièrement satisfait, accompagnées d'une justification motivée
  • L'établissement de santé établit une documentation permettant de comprendre les installations de fabrication, le procédé de fabrication, la conception et les données sur les performances des dispositifs, y compris leur destination, et de manière suffisamment détaillée pour que l'autorité compétente puisse s'assurer que les exigences générales en matière de sécurité et de performances énoncées à l'annexe I sont remplies.
  • L'établissement de santé prend toutes les mesures nécessaires pour garantir que l'ensemble des dispositifs sont fabriqués conformément à la documentation visée au point précédent.
  • L'établissement de santé examine l'expérience issue de l'utilisation clinique des dispositifs et prend toutes les mesures correctives nécessaires.

Exemple de CFAO au cabinet de Montréal

En fournissant les documents demandés, les fabricants de solutions CFAO faciliteront le quotidien des praticiens; il n’en demeure pas moins qu’il s’agira d’une nouvelle charge administrative particulièrement lourde et engageante.

C’est dans l’alinéa c de cet article 5.5 que réside une interrogation pour les praticiens : Il est ainsi indiqué « l'établissement de santé justifie dans sa documentation que les besoins spécifiques du groupe cible de patients ne peuvent pas être satisfaits ou ne peuvent pas être satisfaits au niveau de performances appropriées par un dispositif équivalent disponible sur le marché ». On peut comprendre qu'un chirurgien orthopédique ne trouve pas de prothèse adaptée pour un patient particulier victime d'un traumatisme grave ou des conséquences d’un cancer. Mais pour les chirurgiens-dentistes, une telle affirmation est inexacte. En effet, les laboratoires de prothèses peuvent arguer du fait qu’ils sont davantage à même de répondre aux exigences du règlement que les praticiens, surtout si certains d'entre eux se déclarent fabricants de Dispositifs Médicaux. Ainsi, il sera impossible aux praticiens de prétendre qu’il n’existe pas de Dispositifs Médicaux CE médical satisfaisants sur le marché sauf à prouver que la réalisation dans l'heure de la prothèse est une absolue nécessité.

broken image

Une dernière disposition du règlement fragilise les arguments pour la fabrication de la prothèse au cabinet. Le règlement exige que soit désigné chez les fabricants de Dispositifs Médicaux une personne chargée de veiller au respect de la réglementation (Article 15). Ceci ne concerne pas les dispositifs sur mesure. Pourtant, l’alinéa 1.b précise : « Sans préjudice des dispositions nationales relatives aux qualifications professionnelles, les fabricants de dispositifs sur mesure peuvent attester qu'ils possèdent l'expertise requise visée au premier alinéa en apportant la preuve d'une expérience professionnelle d'au moins deux ans dans un domaine de fabrication pertinent ». J’anticipe l’argument des praticiens qui vont rappeler qu’en France, ils sont responsables de la conception de la prothèse. Cependant, je crains qu’un tribunal remette en cause leur expérience dans la fabrication des prothèses.

La tentation est de se dire que, compte tenu de la faible dangerosité des produits concernés, les autorités (ANSM, Ministère de la santé) ne vont pas se focaliser sur les prothèses dentaires. Par ailleurs, que la réglementation n’entrera en vigueur qu’en mai 2020. Enfin, que la rédaction est trop floue pour pouvoir affirmer, sans doute aucun, que la CFAO au cabinet a été condamnée par la réglementation européen 2017/745.

Pourtant, il serait irresponsable de faire l’autruche et de se mettre la tête dans le sable ; car il existe de réels doutes qu’il conviendra de lever rapidement : non seulement 2020 c’est demain (sans compter que cela peut freiner dès aujourd'hui les investissements des praticiens) mais, surtout si le sujet est soulevé par les syndicats de prothésistes avant que les dentistes et industriels ne s'en chargent, il y a fort à parier que les politiques, mais plus encore les juges, adoptent une lecture stricte de la réglementation ce qui serait certainement fatal à la CFAO chair-side.

Thierry Cauche