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Point de vue d'un Directeur d'Agence Régional de Santé

LES ENJEUX DES POLITIQUES DE SANTÉ NATIONALES ET RÉGIONALES

· Santé publique - Economie de la santé

Le groupe des anciens élèves de Sciences Po Paris organisait vendredi matin une rencontre avec le directeur général de l’Agence Régionale de Santé de la région PACA, M. Claude D’Harcourt. Cette réunion a eu lieu dans un endroit symbolique du choc des idées: le café le Procope. Vous pourrez lire ci-dessous, un résumé de l’exposé de ce haut fonctionnaire très attaché à sa mission d’optimisation de la qualité des soins de ses concitoyens et du respect des contraintes budgétaires de la nation.

En propos liminaire, Monsieur d’Harcourt nous a exprimé sa satisfaction que le sujet de la santé ne soit pas un sujet idéologique y compris dans les circonstances actuelles de la campagne électorale. M. d’Harcourt ayant fait sa carrière essentiellement au sein du Ministère de l’Intérieur et de la Justice, on peut imaginer que cela peut être satisfaisant de pouvoir aborder un sujet en pouvant traiter des problèmes de fond sans obstacles dogmatiques. Compte-tenu du temps imparti, seul l’enjeu sanitaire et parcours de soins ont pu être traités.

Il faut se rappeler que jusqu’en 2008, et l’apparition de la T2A, le milieu de la santé ne connaissait ni limites de moyens, ni de demandes. En moins de 10 ans, l’hôpital a su vivre une révolution qui a constitué une acceptation du changement bien supérieure aux attentes. Dans le monde actuel à l’évolution rapide de la société et des technologies, 10 ans constituent pourtant une éternité. Il faut néanmoins se satisfaire et reconnaître la capacité à la résilience de l’hôpital public. Mais, Monsieur D’Harcourt nous a rappelé que les enjeux de santé ne se limitent pas au secteur public. Ainsi, il faut noter que dans la région PACA 60 % de l’offre de chirurgie est assurée par le privé et que, sur la partie réadaptation, le privé couvre 81 % des besoins. Même pour l’obstétrique (pourtant réputée peu rentable), le privé assure 38 % de l’offre. L’ARS doit donc bien tenir compte de ce secteur privé dans l’évaluation et dans son intervention régionale sur le système de santé.

En termes de gestion globale des masses financières, il faut constater que l’ONDAM fonctionne. Globalement, les dépenses ont été tenues. Il existe un risque mineur que cela ne reporte le déficit sur les établissements, ce que les ARS peuvent difficilement contrôler. Ce risque semble maîtrisé.

Les enjeux budgétaires ne sont pourtant pas les enjeux principaux, c’est l’organisation des soins le nœud de la problématique. A titre d’exemple, la taille moyenne des établissements de santé en Allemagne est de 300 lits, en France la taille moyenne est de 150 lits. Un exemple encore plus frappant est le nombre d’établissements de maternité dans un pays comme la Suède : il y a 7 maternités pour toute la Suède contre plus de 17 sur la seule région PACA.

Partant de cette analyse, M. D’Harcourt en fait deux constats.

  • Il y a deux logiques à l’œuvre. La rareté des ressources, cette rareté déterminant l’offre. L'autre logique étant que seul le prix régule le système. 
  • Le second constat est que si les enjeux sont les mêmes pour tous, à savoir pour le public et pour le privé, la régulation est de plus en plus asymétrique.

Sur la rareté des ressources, force est de constater que c’est la capacité d’attirer des anesthésiques ou des chirurgiens obstétriciens qui permet de maintenir ouvert un hôpital ou un service. Cette rareté existe également sur les investissements et, de fait, les professionnels de santé sont attirés par la présence de solutions techniques plus ou moins utiles tel le robot Da Vinci. De plus donc, la T2A conjointe à l’enveloppe globale de l’ONDAM fait du prix le seul régulateur du système. Or, le prix est national, tout comme l’ONDAM, ce qui rend le mécanisme particulièrement décorrélé de la pertinence des soins au niveau régional.

L'ONDAM national est de 190 milliards d'euros. Pour la région PACA s'enveloppe annuelle est de 17 milliards.

Le second constat est donc que la régulation est de plus en plus asymétrique entre le secteur privé et l’hôpital public.

Pourtant, les enjeux sont les mêmes pour tous. Tout d’abord, il y a un impact majeur de la révolution technologique en cours. L’une des conséquences majeures de cette révolution technologique est notamment la baisse importante du besoin en mobilier hospitalier. Or, la puissance publique et les politiques ne tiennent pas compte de cela. Le corollaire de cette révolution technologique est la surcapacité en terme de lits et en blocs opératoires du fait du développement rapide de la médecine ambulatoire. Enfin, ce qui rapproche encore le public du privé, c’est la limitation des ressources et la pression budgétaire qui s’appliquent à tous et qui obligent chacun à adopter une approche filière de soin/territoire.

Cependant, les règles du jeu des deux acteurs de soins sont de plus en plus dissemblables. Ainsi, le ONDAM ne gère pas les dépenses du privé, les politiques quant à eux ne s’occupent que de l’hôpital public, et enfin le statut de la fonction publique hospitalière limite les marges de manœuvre de l’hôpital public. Par ailleurs, les protections dont bénéficient le secteur public se gomment. Ainsi les internes peuvent désormais réaliser une partie de leur stage dans le secteur privé. Autre digue qui a sauté, la recherche n’est plus désormais uniquement l’apanage de l’hôpital public.

Les soins de ville représentent 46% de l'ONDAM - l'hôpital 40%

La conclusion de M. d’Harcourt est qu'il faut vite enrayer ce phénomène de divergence. Il est urgent d’établir des stratégies communes privé/publique, de répondre à la question des coûts qui doivent être régulés pour les deux acteurs, de desserrer le carcan que constitue le statut de la fonction publique hospitalière et enfin, d’aborder la question des seuils.

La dernière remarque en conclusion de Monsieur d’Harcourt est particulièrement éclairante. Dans l’Italie voisine de la région PACA, il existe un ORDAM (Objectif RÉGIONAL de dépenses d’assurance maladie). Si celui-ci est dépassé, cela entraîne immédiatement l’obligation de voter un nouvel impôt régional pour assurer l’équilibre des comptes. On imagine, l’empressement qu’aurait nos élus régionaux au respect des budgets régionaux de santé si une telle mesure était adoptée en France.